Retranscription complète de l’interview de Tony Di Napoli
Fabien FONS
Sur la chaîne de podcast YouTips aujourd’hui, on accueille Tony Di Napoli. Bonjour Tony.
Tony Di Napoli
Bonjour.
Fabien FONS
Donc tu es musicien, compositeur, c’est ça ?
Oui, et plasticien.
Plasticien. Et donc tu vas nous parler un peu de ton métier, notamment, voilà, comment tu as commencé à faire de la musique, à composer, et notamment aujourd’hui, tu travailles avec des pierres.
Tony Di Napoli
Voilà, c’est ça, donc je travaille avec des pierres sonores, des lithophones. J’ai commencé ce travail suite à des études aux Beaux-Arts de Liège en Belgique. J’ai commencé à travailler la pierre.
Fabien FONS
Mais comment tu es arrivé à travailler la pierre ? C’est toi qui as choisi ce matériau ?
Tony Di Napoli
Oui, c’est ça, j’ai choisi ce matériau. Là, on avait des professeurs qui travaillaient la terre, puis un autre professeur qui travaillait plutôt le métal et, à un moment, avant les fêtes de Noël, un ami d’un professeur, sculpteur de pierre, est venu faire une démonstration à l’atelier.
Fabien FONS
Donc c’était la sculpture, c’était même pas faire de la musique au départ ?
Tony Di Napoli
Au départ, c’était vraiment la sculpture, voilà.
Fabien FONS
Ouais. Toi tu t’es pas dit “je vais faire de la musique avec des pierres” ?
Tony Di Napoli
Pas tout de suite, pas tout de suite. D’abord c’était vraiment la sculpture, donc on était dans un atelier de sculpture. Il est venu faire une démonstration et puis à l’atelier, il y avait de la pierre, et j’ai repris une pierre pendant les vacances de Noël chez moi, et j’ai fait une sculpture, voilà.
Fabien FONS
Et comment tu sculptes la pierre, avec quel appareil ?
Tony Di Napoli
La première sculpture que j’ai faite, je n’avais pas d’outil de pierre, donc j’ai sculpté avec des tournevis. C’était une pierre tendre, de l’albâtre.
Fabien FONS
D’accord.
Tony Di Napoli
C’est une pierre assez tendre. J’ai utilisé tout ce que j’ai trouvé.
Fabien FONS
Aux Beaux-Arts, vous la sculptiez comment ?
Tony Di Napoli
Après, on n’avait pas vraiment d’outillage de pierre aux Beaux-Arts. Par la suite, j’ai acheté mes outils. D’accord, et j’ai commencé avec les tournevis. Voilà, c’est ça. J’ai fait une première sculpture avec toutes sortes d’objets.
Tony Di Napoli
C’est comme ça que l’aventure avec la pierre a commencé. C’était vraiment une rencontre avec ce matériau.
Fabien FONS
C’est l’albâtre ?
Tony Di Napoli
L’albâtre, c’est ça. À l’atelier, il y avait aussi une pierre qui s’appelle le calcaire de Winalmont. C’est une pierre assez courante dans la région de Liège. On l’utilise pour faire des seuils, des pavés, c’est vraiment une pierre de construction. J’ai travaillé sur cette pierre et j’ai eu envie de savoir le son qu’elle faisait, parce qu’en même temps je fabriquais des petits instruments en bois, des sortes de lutteries sauvages, et cette pierre a un son extraordinaire. C’était une deuxième rencontre avec le matériau.
Fabien FONS
Mais c’est quand tu as fait du son la première fois ? Qu’est-ce qui t’a amené à…
Tony Di Napoli
Déjà, quand on commence à travailler la pierre, on est sensible au son qu’elle fait.
Fabien FONS
De la sculpter, ça lui faisait déjà du sens ?
Tony Di Napoli
Exactement. Déjà le fait de la sculpter, avant de commencer à la travailler, on doit écouter le son qu’elle fait, si elle est fissurée, si elle est de bonne qualité. On tape sur la pierre. Et ma première performance sonore avec une pierre, c’était avec des collègues de l’atelier. On a fait une performance dans une ancienne usine, une sorte de musique industrielle : on jouait avec des balustrades, du métal…
Fabien FONS
C’est toi qui as initié ça, qui as amené tes potes à faire ça ?
Tony Di Napoli
Non, non, c’était un ami de l’école qui avait initié cette performance. D’accord. Moi, j’avais amené un bloc de pierre et des outils, et je taillais la pierre en direct, je faisais du son. C’était vraiment le premier travail que j’ai fait avec la pierre.
Fabien FONS
Et là tu t’es dit “en fait, je vais arrêter de sculpter, je vais faire de la musique avec”.
Tony Di Napoli
Non, j’ai continué à sculpter. C’est venu plus tard. J’ai commencé à faire des pierres suspendues, justement avec cette pierre calcaire de Winalmont, comme des gongs, sur lesquelles je faisais des gravures, des interventions sculptées. Elles étaient suspendues, et quand j’ai commencé à taper dessus, ça sonnait comme du bronze. C’était incroyable.
Fabien FONS
Et tu tapais avec quoi dessus ?
Tony Di Napoli
Au départ, avec des maillets en bois, puis ensuite avec des petits rebondisseurs : des balles de caoutchouc fixées sur des tiges de corde à piano.
Fabien FONS
C’est toi qui as eu l’idée ?
Tony Di Napoli
Non, c’est un ami tchèque, Slavek, qui habite maintenant en Irlande. Il fait de la musique électroacoustique et s’intéresse aux sons particuliers qu’il transforme. Il utilisait ces petits rebondisseurs. C’est lui qui a joué sur la pierre suspendue avec ces rebondisseurs, et là, un espace immense s’est ouvert : la pierre a commencé à chanter. C’était différent des percussions.
Fabien FONS
Et après tu as basculé là-dessus ou tu as continué les deux ?
Tony Di Napoli
Oui, j’ai beaucoup travaillé avec ces rebondisseurs, qu’on appelle aussi les superballs. Les musiciens contemporains les utilisent souvent.
Fabien FONS
Et ensuite ? Tu t’es dit : je vais travailler là-dedans, essayer de créer quelque chose ? Tu as essayé de fabriquer un instrument, de l’accorder ?
Tony Di Napoli
Au départ, c’était surtout des recherches de formes liées au son. Les pierres étaient suspendues, je les gravais, je travaillais leur épaisseur et leur forme : carrée, rectangulaire, ovoïde…
Fabien FONS
Ça prend combien de temps de fabriquer une pierre ?
Tony Di Napoli
Ça dépend. Si c’est une lame, ça peut prendre quatre ou cinq heures.
Fabien FONS
Donc tu as créé ton propre instrument.
Tony Di Napoli
Oui, petit à petit, la sculpture sonore est devenue un instrument de musique. Les pierres ont ensuite été posées sur des caisses de résonance, parce que suspendues, c’était trop contraignant.
Fabien FONS
Donc en fait tu as expérimenté.
Tony Di Napoli
C’est ça, c’est de l’expérimentation.
Fabien FONS
Tu t’es fait aider par des acousticiens ?
Tony Di Napoli
Oui, un ami du Centre Henri Pousseur a analysé mes pierres. Je me suis intéressé à l’analyse fréquentielle. Ensuite, j’ai découvert que d’autres artistes travaillaient la pierre dans différents pays : Afrique, Vietnam, Chine… J’ai aussi rencontré un musicologue vietnamien, Tran Van Kê, qui m’a conseillé d’aller au Vietnam.
Fabien FONS
Ah oui ? Ça t’a mené loin cette affaire.
Tony Di Napoli
Oui. Une fondation à Bruxelles finançait des projets artistiques, et j’ai obtenu une bourse pour aller au Vietnam sept mois. J’y ai appris à accorder les pierres, découvert des instruments anciens, des artistes contemporains. Ce fut une étape majeure.
Fabien FONS
Et là tu t’es dit : c’est ça que je veux faire.
Tony Di Napoli
Oui. Après ma première sculpture, je savais que je voulais continuer. C’est devenu une activité artistique à part entière, entre musique et arts plastiques.
Fabien FONS
Et tu as plusieurs instruments différents ou un seul que tu déplaces ?
Tony Di Napoli
J’ai différentes lames, plus ou moins longues : certaines font un mètre, d’autres 60 cm. Elles sont accordées selon les projets.
Fabien FONS
Tu t’es inspiré du Vietnam pour construire tes instruments ?
Tony Di Napoli
Oui et non. J’ai expérimenté des formes rondes, carrées, allongées. La forme ronde donne un son qui tourne, la forme longue résonne mieux. L’instrument évolue encore.
Fabien FONS
Et aujourd’hui, tu utilises ça comment ? Pour des disques, des films, des installations ?
Tony Di Napoli
Plutôt pour des installations sonores et des concerts.
Fabien FONS
Ah, des concerts aussi ?
Tony Di Napoli
Oui, c’est mon activité principale.
Fabien FONS
Et dans quel type de lieu ?
Tony Di Napoli
Des lieux de musique improvisée, contemporaine. C’est purement acoustique. Je n’ai pas cherché à enregistrer, car le son en live est très différent d’un CD. Il y a un rapport physique au son.
Fabien FONS
D’accord.
Tony Di Napoli
Le son rentre dans le corps. J’utilise beaucoup de fréquences basses.
Fabien FONS
Donc pour l’instant pas de projet d’enregistrement, mais peut-être plus tard.
Tony Di Napoli
Oui, peut-être.
Fabien FONS
Tu as déjà mélangé la musique des pierres avec de la musique tonale ?
Tony Di Napoli
Oui, j’ai travaillé avec une compositrice (“Clarinette et Pierre”), avec des pianistes, chanteurs, orgue. Mes instruments sont accordés en micro-intervalles.
Fabien FONS
Et c’est un instrument qui se travaille comme tout autre ?
Tony Di Napoli
Oui, il se pratique. C’est difficile parfois, certains sons sont complexes à faire sortir. L’instrument se découvre encore : en concert, il m’arrive d’entendre un son nouveau.
Fabien FONS
D’accord.
Tony Di Napoli
Après, j’essaie de comprendre comment il est apparu, pour le reproduire.
Fabien FONS
Si on veut t’écouter sur internet ?
Tony Di Napoli
Il y a des films de concerts sur mon site internet, en cours de mise à jour. On peut aussi voir des concerts en Pologne, Hollande, Bruxelles, mais ce n’est pas la même sensation qu’en direct.
Fabien FONS
Et pour quelqu’un qui voudrait se lancer là-dedans, tu lui conseillerais quoi ?
Tony Di Napoli
De commencer par fabriquer ses propres pierres. J’ai donné pendant quatre ans des stages en Belgique à l’Académie d’été internationale. Les stagiaires revenaient chaque année, on a même créé un groupe, Litos, qui continue aujourd’hui à faire des concerts dans la région liégeoise.
Fabien FONS
Et pour un débutant, il peut acheter un instrument tout fait ?
Tony Di Napoli
Non, ça n’existe pas. Il faut trouver une pierre qui sonne. Par exemple, la phonolite.
Fabien FONS
Ah oui, plusieurs familles. Tout un monde.
Tony Di Napoli
Tout un monde, oui.
Fabien FONS
Écoute, Tony, merci pour ce retour d’expérience et à une prochaine sur la chaîne de podcast U-Tips.
Tony Di Napoli
Merci, au revoir.
Fabien FONS
À bientôt.
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